Vincent-Paul TOCCOLI, sdb
13/02/1942 – 05/08/2013
« Si Toccoli m’était conté »
VIVIT ET NON VIVIT
Formule gravée sur le sarcophage
de Frédéric II von Hohenstaufen
à Palerme et qui peut servir de
conclusion à notre soirée :
« Il ne vit plus, pourtant il vit encore. »
Plus d’une centaine d’amis de Vincent-Paul Toccoli étaient réunis le 3 avril au soir à Cannes pour une chaleureuse soirée d’hommage : des auditeurs fidèles, des proches, des très proches, ses sœurs et leurs familles.
Après la disparition de Vincent-Paul, nous avions très rapidement décidé qu’un tel événement devait être organisé. L’association Art Science Pensée et le Cercle Philo-Sophia se sont aussitôt associés à nous pour la mise au point de cette soirée : « Si Toccoli m’était conté ».
Il était impératif que tout soit mis en oeuvre pour que la qualité de la soirée soit à la hauteur de l’estime et de l’amitié que nous portions à Vincent-Paul Toccoli, personnage complexe, parfois difficile, mais esprit exceptionnel, immense culture, formidables et multiples talents.
Films et photos allaient raviver nos mémoires, mais nous souhaitions surtout faire ressortir l’étendue et la diversité de son immense personnalité. Pour cela, nous avons sollicité plusieurs personnes qui l’avaient bien connu dans des activités diverses, afin qu’elles nous présentent, chacune dans leur domaine, l’aspect de Vincent-Paul qui leur était familier.
Afin de couvrir un large éventail de sujets entre « raison » et « foi », nous avions décidé de débuter par Jean-François Mattéi professeur de philosophie et terminer en évoquant sa foi avec Bernard Prate. Entre ces deux pôles « extrêmes », les sujets possibles étaient nombreux, la psychanalyse, l’écriture, la littérature, la peinture, le cinéma et les voyages.
Nous étions certains que chacun découvrirait à cette occasion des aspects de Vincent-Paul qu’il ignorait. Ce fut effectivement le cas, et avec grand étonnement pour certains, y compris chez ses plus proches.
Pendant l’arrivée des invités, dans une salle aux éclairages soignés, était projetée une série de photographies de Vincent-Paul (son enfance à Alger, sa jeunesse, sa maturité et des images récentes), sur un fond musical de Gnossiennes et de Gymnopédies d’Eric Satie, interprétées par Anne Queffélec.
Hélas, trois fois hélas, nous avons dû commencer la soirée par le rappel d’une triste nouvelle : le subit décès quelques jours auparavant de Jean-François Mattéi. De nombreuses personnes présentes étaient très proches de lui et, comme nous, très fortement peinées de sa disparition.
Michel Bernard qui les connaissait tous les deux, rappela leur connivence et leur estime réciproque. Il avait apporté un extrait d’une émission au cours de laquelle, l’année dernière par téléphone, Vincent-Paul Toccoli était venu poser une question surprise à Jean-François Mattéi, invité de l’émission radio de Michel.
Le 30 octobre dernier, Michel Bernard avait également réalisé une émission d’hommage à Vincent-Paul et pu joindre Jean-François Mattéi, au téléphone sur un quai de gare. Voilà ce qu’il avait dit :
- « C’est à la fois un témoignage méditerranéen, il y avait une chaleur toute camusienne chez Vincent-Paul, et en même temps un témoignage sur l’extraordinaire brio de cet homme qui était à la fois prêtre, psychanalyste, psychologue, écrivain, philosophe ; qui connaissait une dizaine de langues, dont des langues mortes, comme le grec et le latin ou des langues modernes, qui avait été à peu près dans tous les coins du monde, au Vietnam, en Chine, et en même temps, c’était un homme d’une générosité tout à fait étonnante, d’une générosité à la fois d’ordre affectif et en même temps d’une générosité d’ordre intellectuel. Il donnait ses conseils, il donnait ses idées, il ne les prêtait pas simplement et en même temps, il débordait d’une joie, d’une animation qui était vraiment très très rare. J’ai enseigné pendant trente ans à l’Université de Nice, et dans d’autres universités du monde, au Canada à Istanbul et je n’ai jamais rencontré un personnage, ou une personnalité plutôt, de cette trempe, à la fois sur le plan intellectuel, sur le plan affectif et je dois dire aussi sur le plan spirituel et religieux.
- Je crois qu’il y avait une grande dimension religieuse et spirituelle chez Vincent-Paul Toccoli. »
Puis, Jean-Marc Dagrève, professeur de philosophie (également proche de Vincent-Paul à titre personnel) a accepté d’intervenir. Il a exposé plusieurs points de rapprochement entre les idées de Vincent-Paul et celles notamment de plusieurs philosophes tels que Soeren Kierkegaard, Claude Levi Strauss et Camus. Selon ses notes :
- le vif intérêt chez Vincent-Paul pour ce que Kierkegaard appelait l’historico-mondial, le devenir présent et futur de l’humanité.
- Mais il y a ce risque de l’aliénation dans l’historico-mondial, l’oubli de « la tâche d’exister » c’est-à-dire de devenir soi-même par le mouvement de l’intériorisation.Vincent-Paul a évité cette dissolution du sujet dans le tout de l’historico-mondial, il s’est fait existant en cherchant à réaliser en lui la synthèse des contraires que nous sommes : à la fois fini et infini, temporel et éternel, dans le sensible et le suprasensible.
- Vincent-Paul chez Levi-Strauss : il savait pleinement apprécier la diversité des cultures, lui le grand voyageur, il y voyait autant de richesses infiniment précieuses ; il avait totalement surmonté le piège de ce que Levi-Strauss appelle l’illusion ethnocentrique ».
- On retrouve aussi dans sa pensée l’opposition kierkegaardienne entre la croyance et la foi : la croyance comme adhésion mécanique à des dogmes et la foi comme pari et comme saut, la relation personnelle au plus grand des existants : le Christ.
- Enfin la philocalie de Vincent-Paul,c’est-à-dire son amour pour tout ce qui est beau et sa proximité en ce sens avec l’esthétique platonicienne du Banquet : par le beau nous sommes reliés à « la sublimité du Bien » c’est-à-dire du divin.
Françoise Toledano, qui a parcouru le monde en compagnie de Vincent-Paul (Route de la Soie, Orient, Amérique du Sud, etc.) a ensuite souligné la très grande précision des programmes et horaires de leurs périples, ainsi que l’extrême érudition de Vincent-Paul qui, véritable encyclopédie vivante ayant minutieusement préparé ses déplacements, était souvent mieux et plus profondément documenté sur les sites visités que les guides locaux. Elle nous livra une série d’anecdotes savoureuses, mais soucieuse de respecter le temps qui lui était imparti, elle nous priva de bien d’autres, que nous aurions volontiers écoutées.
Paul Charbit dont l’association Art Science Pensée se préoccupe de l’approche scientifique des sujets, souligna combien il avait été impressionné par la capacité de Vincent-Paul à intégrer, digérer, analyser et interpréter toutes les informations techniques qui lui étaient proposées dans quelque domaine que ce soit. Quant au rapport de Vincent-Paul avec la peinture, Paul Charbit s’interroge : était-ce un véritable amour de la peinture ou un support pour ses démonstrations. Ainsi, lors d’un colloque sur Picasso et ses amis, organisé à Cannes par l’Académie Clémentine, Vincent-Paul, qui avouait ne pas aimer ce peintre, avait fait une remarquable analyse de Picasso en relation avec le mythe du Minotaure. D’ailleurs, Vincent-Paul ne s’identifiait-il pas un peu lui-même à la vitalité puissante du Minotaure ?
Eve Depardieu nous narra ensuite la création du Cercle Philo-Sophia au cœur de la technopole de Sophia-Antipolis. Avec le soutien du sénateur Laffitte, Vincent Paul souhaitait proposer des pauses consacrées à la philosophie, des moments de réflexion extra-professionnelle aux multiples « travailleurs » de la technopole. « Je vais là où les autres ne vont pas, je vois et je parle à ceux auxquels les autres ne parlent pas ! » disait-il. Pour lui, en visionnaire avant-gardiste, Sophia-Antipolis représentait l’avenir. Et comme il aimait à le répéter : « le point de vue c’est le point de vie ».
Enfin, Bernard Prate, qui a beaucoup travaillé avec Vincent-Paul Toccoli, notamment pour la traduction de Jérémie et la rédaction d’homélies destinées à être publiées, a parlé avec beaucoup de profondeur de l’étendue de la foi de Vincent-Paul. C’est d’ailleurs, entouré de la famille de Bernard venue lui rendre visite, que Vincent-Paul célébra (en anglais pour un invité étranger), sa dernière messe. Bernard fut le dernier à le voir. Il sut montrer qu’au-delà des brillantissimes et multiples facettes de Vincent-Paul, il y avait un solide noyau central intégrant une exceptionnelle intelligence de la foi et une spiritualité d’une grande élévation.
Puis, pour marquer une pause, nous avons écouté Philippe Cauchefer, violoncelle solo de l’Orchestre Régional ORPACA, interpréter la première suite pour violoncelle seul de Jean-Sébastien Bach. Merci Philippe de nous avoir offert ce moment de grâce à la fois joyeux, léger et élevé.
Après cette pause, il y eut la projection d’une série de photos préparée par Gérard Philibert, qui a commenté leurs voyages en Colombie et l’aventure foisonnante du JBSI – Jean Bosco Service International.
Vincent-Paul était très organisé et précis, son agenda était son « bréviaire » et en plus de dix années de colloques, interventions et conférences pour l’Académie Clémentine, il n’a jamais fait faux-bond, jamais il ne s’est décommandé. La seule et unique fois, ce fut l’année dernière pour un entretien avec Jean-François Mattéi, dans le cadre d’une série d’échanges que nous avions projetés en prolongement du Cercle Philo-Sophia sur le thème « Désirs et Peurs ! ». Trahi par sa santé, il était désormais trop faible. Sa dernière intervention publique fut donc celle organisée dans ces mêmes locaux avec Michel Bernard au cours de laquelle les personnes présentes avaient bien ressenti le côté testamentaire de ses propos.
Respecter ses engagements était pour lui un impératif, aussi ce soir, nous l’entendions pester contre ceux qui trouvent des prétextes ou qui même « oublient » de prévenir qu’ils ne viendront pas. Nous n’avons donc pas évoqué la psychanalyse, ni ses livres, ni ses conférences, mais qu’importe, l’essentiel a bien été dit et nous aurions peut être manqué de temps pour la diffusion de notre apothéose finale.
Philippe Serve, devait intervenir pour le cinéma, mais terrassé par un virus nous avait écrit : « Je suis très, très déçu de ne pouvoir apporter mon écot à l’hommage pour V-P car je sais, n’ai jamais oublié et n’oublierai jamais tout ce que je lui dois, au-delà de sa « simple » amitié. J’aurais voulu en témoigner, avec simplicité mais force. »
Pour ce qui touche au cinéma, nous avons pu souligner combien la culture cinématographique de Vincent-Paul était importante. Il citait des films aussi bien, sinon plus souvent, que des poètes ou des écrivains. Un peu comme le héros de « Dream on », la série TV américaine, dans laquelle apparaissent régulièrement des extraits de film en référence avec les situations vécues. Le cinéma était pour Vincent-Paul, l’art de notre temps.
Présente dans la salle, Marie-Thérèse Colombat a évoqué son implication dans le Jury Oecuménique à l’occasion du FIF, dans la création d’un film club niçois, etc.
Pierre et Claudine Lange recevaient régulièrement Vincent-Paul. Ayant vite réalisé qu’il était plus attiré par un bon whisky de 12 ans d’âge que par des débats mondains, Claudine veillait à ce qu’il soit toujours accueilli dans une atmosphère « familiale » et chaleureuse. Elle précise qu’en plus de ses qualités intellectuelles, Vincent-Paul était un homme très affectif, particulièrement sensible à l’amitié ; il aimait les fleurs, il était fasciné par les spectacles de la nature. C’était aussi un homme d’insolence, qui avait pris des risques insensés pour sa propre « carrière ».
Quelques proches étaient venus spécialement de Paris. D’autres étaient là par la pensée, tel Norbert Turini, évêque de Cahors, retenu à Paris par une réunion de la Commission Episcopale :
- Depuis la capitale, mon coeur, ma pensée, mon affection seront tournés vers Cannes où Vincent Paul va vous réunir. Je sais que ce sera un grand moment d’émotion avec de la joie car Vincent Paul n’aimerait pas que l’on pleure sur lui.
- D’ailleurs quand on retrouve un ami on n’est pas triste. C’est ce que vous allez vivre et qu’à ma façon, je vivrai à distance par la géographie, mais proche par tous ces liens d’affection fraternelle qui m’unissent à Vincent Paul. Je vous rejoindrai tous de manière silencieuse.
- Toutes celles et ceux qui se rassembleront, moi y compris, avons une dette envers lui. Il a laissé pour ne pas dire gravé sa « marque » en nous.
- Je me suis souvent posé la question: comment pourrais-tu lui rendre tout le bien qu’il t’a fait ?
- Il est parti pour son dernier grand voyage, le plus important de sa vie (m’avait-il dit un jour), mais sa voix continue à parler en nous.
- Personnellement, je reste à son écoute. Devant telle situation ou décision, au moment d’une prise de parole publique ou d’une rencontre difficile, en préparant un texte ou une homélie, je l’interroge : « Dis-moi ce que tu en penses ? Eclaire-moi sur ce que je dois faire ? « . Un ami fidèle vous répond toujours et il était pour nous le modèle de la fidélité.
- Je ne vis pas dans son souvenir, je vis dans sa présence mystérieuse, invisible. Elle demeure en vous et en moi à jamais.
- Vincent Paul on t’aime !
Marie Françoise Yin était avec nous depuis l’Orient Extrême :
- Je serai avec vous en pensée car j’habite toujours Hong Kong et c’est un peu loin de faire le déplacement… Mais je garde Vincent-Paul dans mon coeur et mes prières et je chéris cette mémoire d’un prêtre, psy, confident et ami… Je sais qu’il veille encore sur nous.
- Il n’est pas un jour sans que je lui parle…
Danielle, sœur de Vincent-Paul, a raconté quelques péripéties de leur voyage en Espagne où il voulait effectuer les exercices spirituels d’Ignace de Loyola (Y compris une séquence où il mendiait en tendant la main à la sortie d’une église !)
D’autres interventions ont souligné combien sa présence avait été appréciée dans l’accompagnement de personnes en fin de vie, des anecdotes sur sa vie de jeune prof salésien, etc.
Enfin pour terminer, Paul Charbit, qu’il en soit remercié, nous avait confié l’enregistrement d’une conférence du colloque Art Science Pensée de septembre 2007 sur le « Chaos ».
Ce fut l’apothéose, tant fut grand pour tous le bonheur de retrouver Vincent-Paul tel qu’en lui-même, du grand Vincent-Paul, à son meilleur, avec tout ce qui faisait sa personnalité d’orateur : parlant chinois et latin, vendant ses livres, citant des films « un max ! », quelle chance de pouvoir le retrouver ainsi ! Admiratifs et émus, nous avons ri de bon cœur.
Ensuite, nous avons changé de salle pour les agapes (on sait combien Vincent-Paul était attaché à ce genre de chose), nous avions bien sûr organisé une vente de ses livres (garder là aussi ses bonnes habitudes), proposé des DVD de sa conférence sur le Chaos que nous venions de diffuser et distribué une série de témoignages imprimés mis à la disposition de tous.
Soirée chaleureuse, sans tristesse particulière, mais pleine d’émotions. Chacun était conscient, de la chance qu’il avait eu de rencontrer Vincent-Paul Toccoli. Une soirée de communion dans la fierté, la gratitude et la joie de l’avoir connu.
Merci à Claudine Lange et Eve Depardieu pour leur implication dans la mise au point de cette soirée, merci à Nicole pour toute la logistique déployée. Merci à Claude Moll, merci à Bertrand Gruson, merci à nos intervenants, à tous nos invités et à toutes les personnes présentes.
L’annonce pour mémoire :
Notre ami Vincent-Paul nous a quittés.
Conseiller culturel de l’Académie Clémentine, dont il fut le principal inspirateur lors de sa création, son immense érudition, ses regards croisés sur toutes les cultures du monde, ses analyses sans conformisme, ses propositions innovantes, vont nous manquer.
Nous pleurons surtout un ami fidèle, « a man for all seasons ».
Vale Vincent-Paul !
L ‘Académie Clémentine
Art Science Pensée
Le Cercle Philo-Sophia
vous convient à une soirée d’hommage et d’amitié à
Vincent-Paul Toccoli
L’homme, le prêtre, le cinéphile, le bon vivant, le psychanalyste, l’écrivain, l’orateur et bien d’autres choses encore justifient le titre donné à cette soirée :
« Si Toccoli m’était conté »
à travers ce qu’il a dit, ce qu’il a écrit, ce qu’il a été
Sous forme de petites tables rondes successives, les multiples facettes de notre ami Vincent-Paul seront évoquées grâce aux témoignages de Patrick Amoyel, Michel Bernard, Paul Charbit, Eve Depardieu, Claudine Lange, Jean-François Mattéi, Frédéric Ovadia, Max Poty, Bernard Prate, Nicole Sabbagh, Philippe Serve, Françoise Tolédano, Jacques Vannier.
Philippe Cauchefer, violoncelle solo de l’Orchestre Régional, interprètera la 1ère Suite pour violoncelle seul de J . S. Bach, pièce que Vincent-Paul aurait emportée sur une île déserte.
De la musique, des photos, une video extraite d’une de ses conférences, la présence de ses sœurs recréeront les ambiances chères à Vincent-Paul.
Sous la présidence de Jacques Vannier, cette soirée se tiendra le
JEUDI 3 AVRIL à 18 heures 30
Logis des Jeunes de Provence
5, rue Mimont à Cannes (parking St Nicolas tout proche)
Un buffet dînatoire clôturera la soirée
Les livres de Vincent-Paul seront à la vente à un prix amical
IMPORTANT : Inscription obligatoire avant la fin du mois de mars afin de prévoir le nombre de participants notamment pour la bonne organisation du buffet.
Nicole Sabbagh – Académie Clémentine – 06.10.27.13.54 ac.clementine@orange.fr
L’entrée est gratuite, toutefois une corbeille sera mise à la disposition de ceux qui voudront participer aux frais d’organisation de la soirée.
——
Vincent-Paul, on n’est jamais trop prudent, nous avait confié le souvenir qu’il souhaitait que l’on garde de lui :
Epitaphe pour ma mort
VINCENT-PAUL TOCCOLI, prêtre et salésien de Don Bosco, missionnaire des temps nouveaux, dixit Jean Onimus, avant sa mort, fut avant tout un très grand apôtre de la lucidité. A l’occasion, beaucoup le découvriront ou redécouvriront la qualité de ses analyses et la maîtrise avec laquelle il arrivait à s’abstraire des combats subalternes pour définir les enjeux majeurs.
Confronté aux délires ecclésiastiques de la fin d’un siècle et du début de l’autre, de la condamnation de la ‘théologie des pauvres’ à la tolérance d’un ‘nouveau Pentecôtisme’ à l’européenne, il aura été l’un des très rares prêtres de terrain français – en juste héritier des outre-rhénans Karl Rahner, Hans Küng et Eugen Drewermann, – à ne pas céder aux dérapages partisans et à conserver le regard froid.
Pour avoir étudié les sciences humaines et religieuses dans les bibliothèques et in situ – en passant par les mondes ancien et nouveau, et dans l’Asie mystérieuse et sans fin, entre le sursaut de 68 et le réveil de la Chine -, il a très tôt mesuré la perversité de tous les systèmes, quand ils se prétendent éternels et au-dessus des hommes.
Pour avoir lu et décortiqué les textes fondateurs de toutes les religions et ceux du patrimoine mondial de l’humanité, il s’était affranchi avant l’heure de la vulgate de toutes les restaurations.
Pour avoir su se garder de l’Institution, il avait pris goût à la résistance de la liberté, sinon à la rigidité du schisme.
Le guidait le souci de la liberté de l’esprit et de ses garanties. Sa vision transcendait largement les traditionnels clivages entre conservateurs et progressistes, entre romains et les autres, entre résignation et révolte.
Il portait en lui la double idée de réforme et de fidélité, au point d’effrayer ses amis comme ses ennemis.
Sa force, ce fut sa plume et ses sites sur le web, sans oublier sa parole publique. Les mots d’un essayiste clairvoyant, d’un vulgarisateur hors pair, d’un prédicateur apprécié. On le critiquait, on le couvrait de calomnies, mais on le lisait et on le pillait.
Et en bon salésien, il parvint finalement à vacciner des cohortes de jeunes, intellectuels ou non, contre un prêt à penser déshumanisant, à l’heure où l’Église de France est toujours dominée par les clichés d’une pseudo fidélité au passé et la peur entretenue d’entreprendre.
Ignoré par le pouvoir romain et par son ordre pour ses prises de position provocatrices, il œuvra par l’exemple avec (im)patience à la désintoxication des esprits et des cœurs, des croyants et des non croyants. C’est l’âme qui l’intéressait. Le reste…
Son scepticisme n’était pas du fatalisme.
Son apparente froideur n’équivalait pas à du cynisme.
Il était anxieux d’approcher au plus près le noyau du réel.
« Le point de vue, c’est le point de vie ! », aimait-il à dire, et cela devint une sorte de maxime personnelle.
Mais on manquerait l’essentiel si l’on ne soulignait pas en quoi TOCCOLI reste d’actualité.
En soumettant à la critique la ‘stratégie’ ecclésiastique et la dissuasion ‘charismatique’, en insistant sur le primat de la culture et de la foi s’informant l’une l’autre, en invoquant la permanence de l’espérance tragique dans l’histoire du salut, ce témoin de son temps a réuni préventivement les éléments pour penser « l’après » lui, à l’aube du 21ème siècle.
S’il ne laisse derrière lui aucune théorie systématique, et encore moins de dogme, il a confié à ses pairs et à ses élèves une méthode reposant tout à la fois sur la rigueur et le scrupule. Il n’existe aucune chapelle composée de disciples. Il existe en revanche un état d’esprit, une ouverture et une tolérance : c’est-à-dire la fine pointe de l’intelligence.
Une nouvelle génération de chrétiens toccoliens, en somme.